Histoirede la république française





«Si lemonde a de la haine contre vous, sachez qu’il en a eu d’abord contremoi. Si vous apparteniez au monde, le monde aimerait ce qui est à lui.Mais vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vousprenant dans le monde; voilà pourquoi le monde a de la haine contrevous. Rappelez-vous la parole que je vous ai dite: un serviteur n’estpas plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté, on vouspersécutera, vous aussi. Si l’on a gardé ma parole, on gardera aussi lavôtre. Les gens vous traiteront ainsi à cause de mon nom, parce qu’ilsne connaissent pas Celui qui m’a envoyé.» (Jn 15, 18-21)














Le 21 janvier 1794 à Laval

- La Commission militaire ou révolutionnaire.



La Commission militaire ou révolutionnaire devant laquelle les ministres de Dieu étaient amenés comprenait un président: Clément (notaire à Ernée), sectaire farouche, cruel, ivrogne notoire; trois juges: Pannard (maréchal-ferrant à Mayenne), une brute constamment en état d'ivresse; Faur (imprimeur à Laval) «un des coryphées de l'esprit révolutionnaire»; et Marie de la Colinière, dit Brutus (notaire à la Croixille et juge de paix de Juvigné-des-Landes), «un forcené»; un accusateur public: Volcler (prêtre, maire de Lassay), et un secrétaire-greffier: Franklin Guilbert (prêtre, vicaire à Viviers), deux apostats, deux démons. Elle est désignée comme une des plus cruelles de l'Ouest, et les deux Judas qui en faisaient partie n'ont pas moins mérité que les autres la note de cruauté sauvage. Peut-on donner le nom de juges à ces monstres dont la mémoire est à jamais flétrie ? Ce sont des brutes, des bandits, des assassins, des bêtes féroces, des vampires. On trouve parmi eux des ivrognes, des voleurs, des concussionnaires, des débauchés qui ne se plaisent qu'à se vautrer dans le sang et la boue, ne connaissent ni lois, ni justice, ni vérité, ni vertu, ni pitié et s'en vantent. «La Commission ne connaissait pas de lois», osera dire l'accusateur Garot, accusé à son tour. Pourquoi ont-ils tué des citoyens honorables, des femmes, des enfants? «Parce que les gens d'esprit sont dangereux dans une république, parce que les femmes et les enfants font souvent plus de mal que les grandes personnes», répondent-ils en choeur. Ils se présentent ivres au Tribunal, dorment à la séance et se font réveiller pour condamner à mort. Leur amusement est de «peloter les têtes de leurs victimes, d'aiguiser le couteau de la guillotine et de savonner les coulisses...» (1). Leur malpropreté morale est dégoûtante; on ne peut en parler, pas même rapporter leurs propos ignobles aux femmes dont ils outragent la pudeur à l'audience. Un jour, mis en demeure de rendre compte de tant de crimes et d'excès, ils se montrèrent aussi lâches qu'ils avaient été cruels; ils nient leurs actes, leurs paroles, leur signature et ne veulent aucune responsabilité. Ils ont un seul regret et le disent entre eux, celui de n'avoir pas fait couper plus de têtes... Tous étaient animés d'une haine infernale, qu'attisaient encore les deux apostats de leur bande, contre la religion. Leur conscience, s'ils en avaient une, pouvait facilement s'acheter; et des familles de la Mayenne qui sacrifièrent leur fortune entre leurs mains échappèrent à la prison et à la guillotine. Mais les prêtres et les Religieuses n'avaient pas de fortune à leur offrir; le crime de fidélité à Dieu était d'ailleurs sans excuse à leurs yeux; en d'autres cas ils ont pu ne pas envoyer à la guillotine des accusés dont Volcler demandait la tête; il n'est pas à notre connaissance que Volcler n'ait pas requis et que les Commissaires n'aient pas voté la mort de celui qui osait professer la foi en leur présence. Ils feront comparaitre à Ernée et condamneront à mort une Religieuse hydropique, soeur de la Charité d'Évron, Jeanne Véron, qui fut amenée presque mourante de l'hôpital sur une civière; et l'ancien vicaire général de Mgr du Plessis d'Argentré, évêque de Limoges, François de Coüasnon de la Barillière, alité, paralytique, n'ayant plus que des lueurs intermittentes de raison: «Deux hommes le tenaient sous les bras et un troisième le poussait par derrière pour le monter à la guillotine » (2). Ces monstres n'ont besoin d'aucune preuve pour condamner à mort un accusé et le faire exécuter; ils n'admettent aucun témoin à décharge et ne permettent pas même à l'accusé de se défendre. Si par exception ils se voient forcés d'entendre une de leurs victimes qui ose élever la voix et protester – tel l'ancien magistrat et député de l'Assemblée nationale, Enjubault de la Roche, au pied de l'échafaud — l'accusateur public réplique froidement: «Je tiens les génies et les orateurs pour gens plus propres à corrompre le peuple qu'à le servir; je te condamne en mon ame et conscience.

(1) Arch. dép. Ces détails viennent des témoins au procès des Terroristes, loc. cit.
(2) Arch. dép., Déposition de Lemétayer, administrateur du district d'Ernée, 14 avril 1795.

Et le soir, après l'exécution, un des juges, le maréchal-ferrant Pannard, dira publiquement dans un cabaret: « Enjubault a bien prouvé qu'on ne pouvait pas le condamner; mais les juges savaient ce qu'ils avaient à faire (1)». On connait les fières paroles du prince de Talmont, amené mourant devant eux le 27 janvier. «Depuis quand es-tu avec les brigands? lui demande-t-on. - Depuis que je suis avec vous, répond le prince... J'ai fait mon devoir, faites votre métier», dit-il encore. Infâme métier, en effet, digne d'hommes infâmes. Ce tribunal sanguinaire, dit M. Boullier (2), ne suivait aucune des règles en usage dans les nations civilisées pour les jugements en matière criminelle. Tout était laissé à l'arbitraire ou plutôt aux caprices des juges et de l'accusateur public, qui disposaient à leur gré de l'honneur et de la vie de leurs concitoyens amenés sans préavis de comparution et sans aucun moyen de défense (3). Il n'y avait ni production de pièces de procédure ni plaidoiries. Tout se bornait à un interrogatoire pendant lequel on ne laissait pas toujours aux accusés le temps de s'expliquer. Tous les Commissaires parlaient indistinctement et coupaient la parole au malheureux qui voulait plaider sa cause. Après un simulacre de délibération, la sentence était rendue et, quand il s'agissait d'une sentence de mort, le condamné livré sur le champ au vengeur du peuple (au bourreau).

La Commission Clément a condamné à mort et fait exécuter trois cent quatre-vingt-quatre personnes, parmi lesquelles cent quarante-cinq femmes.

(1) Arch. nat., FIC, III, Mayenne, 5; W, 332; Arch. dép., Registre du Directoire et du Comité révolutionnaire ; Angot, Dictionnaire historique de la Mayenne : Enjubault.
(2) Nous résumons le texte de M. Boullier, op. cit., ch. XIII, p. 199-201. – V. les auteurs déjà cités et M. Queruau-Lamerie, op. cit.; l'abbé Gaugain, op. cit., P. 1", t. II, ch. IV, $2; Soeur Sainte-Monique, ch. IV, § 3, p. 59-94.
(3) A Paris, la Commission révolutionnaire signifiait aux détenus, la veille du jugement, un acte d'accusation banal qui était au moins un avis de se préparer à la mort. A Laval rien de semblable: on arrivait à l'improviste devant la Commission (Boullier, op. cit., p. 200).




qui et devant qui les prévenus sont-ils interrogės? Rien ne l'indique. Trés rarement se trouve la signature de l'accusé à la suite de son interrogatoire. Que valent ces documents?

Dans ces conditions, quelle justice atteudre de ces hommes? Quel crédit accorder à leurs accusations? Ont-ils le moindre souci de la vérité? Leur en coùtera-t-il plus de calomnier et de mentir en inventant les motifs d'une sentence que le jour oû, ayant à répondre de leurs actes, ils nieront tout? Le mensonge! Mais ils le regardent comme un droit et une habileté contre leurs victimes; c'est leur arme meurtrière et traitresse de méme que leur perfide malice a été de vouloir mêler ce qu'ils appellent le fanatisme religieur avec le fanatisme politique, en d'autres termes la religion et la politique, quand ils ont poursuivi les prêtres et les Religieuses. Leur unique préoccupation était de trouver un prétexte, puisque, nous l'avons vu, ils n'étaient établis que pour juger les rebelles pris les armes à la main et leurs complices. Les amis du diable s'inspirent de sa tactique. Mais le père du mensonge fut pris avec eux dans ses propres filets. L'attitude des prévenus désarçonnait les juges qui se voyaient obligés de porter la question sur le terrain de la foi et des vertus chrétiennes: leurs sentences de mort méme ne leur évitaient pas la honte d'une défaite et découvraient le vrai mobile des persécuteurs; bien mieux, elles serviront de témoignage juridique pour prouver le martyre.

On ne doit faire pleine confiance aux Commissaires que dans la mention du refus de serment: jamais ils ne manquaient de demander le serment au Confesseur de la foi et d'enregistrer son refus. C'était ce qu'ils voulaient surtout. Ainsi ils assouvissaient leur haine et se procuraient la joie sauvage d'envoyer à la guillotine l'accusé fidèle à Dieu.

Ce tableau et ces détails sont hideux que fut donc l'horrible réalitė? Malgré notre répugnance, nous avons cru nécessaire, et nous nous en excusons une nouvelle fois, de les mettre sous les yeux de nos lecteurs, afin de mieux comprendre la scène à laquelle nous allons assister.